PIANOFORTE ? De quoi s'agit-il ? ...
- D'un piano spécialement “fort” ?
- D'une variété peu connue d'instrument à clavier ?
- D'un instrument qui a précédé le piano, quelque part entre le clavecin et le piano actuel ?

“PIANOFORTE”, ou encore “FORTEPIANO” est le nom complet d'un instrument que nous connaissons bien sous le nom, en France, de “piano”. En Italie, par exemple, on ne parle jamais de “piano” mais de “pianoforte” pour les instruments les plus actuels. Car les Italiens savent ce que ces mots veulent dire: “piano” signifie “doux”, “forte” signifie “fort”, autrement dit, l'instrument qui peut jouer doux et fort, l'instrument qui peut varier son intensité, sa puissance sonore.
Pourquoi le nom met-il en avant cette caractéristique?
Parce que c'est à cause de cette possibilité que le “pianoforte” va rapidement, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, supplanter le clavecin.
Le clavecin avait été le point central de toute la musique baroque, il avait de merveilleuses qualités, mais pas celle (ou très peu) de varier l'intensité sonore. Or cette qualité-là, le pianoforte en dispose très facilement : à chaque note, à chaque touche, la plus ou moins grande pression du doigt permet de contrôler la puissance du son, avec une très large amplitude…
C’est justement ce que demandait une époque aux aspirations nouvelles :
l'époque des philosophes, du “Siècle des Lumières”, qui mettait l'émotion individuelle de l'homme au centre de la réflexion et de la création, et qui préparait la Révolution Française. Tout comme l'orgue, le clavecin, avec ses “jeux” préétablis, ses claviers hiérarchisés, correspondait à une société monarchique ou chacun valait par le rôle qu'il occupait; le nouvel instrument, lui, permet à chacun d'exprimer simplement et souplement la moindre inflexion, la moindre émotion.
C'est ainsi que le pianoforte va devenir le centre d'une langue musicale et artistique nouvelle, qui succède à 150 ans d'un art que nous nommons “baroque”: le Romantisme.
Ceci grâce à de nouvelles technologies : d'abord celle des marteaux, projetés contre les cordes par les touches du clavier, grâce à un système dit d'“échappement” qui démultiplie la force des doigts. Ces marteaux remplacent les sautereaux du clavecin qui grattaient les cordes tendues avec une force uniforme, quelle que soit la pression du doigt.
En même temps, on met au point le système des pédales, et notamment la pédale dite “forte”, permettant en fait de laisser relevés tous les étouffoirs qui, normalement, retombent sur la corde pour éteindre le son dès que le doigt lâche la touche : ceci suscite des effets de “masses sonores” très recherchés, et que Beethoven va
très largement explorer. On peut voir là un premier pas vers une conception “moderne” de la musique, qui n'est plus seulement mélodies et harmonie mêlées - et, en tout cas, on peut établir des parallèles avec la peinture, qui utilise de plus en plus l'effet même de la matière.
Par la suite, les progrès de la fonderie permettront d'imaginer des instruments qui ne soient pas exclusivement en bois, et qui disposeront d'une plus grande puissance, convenant à des salles plus grandes et à un public plus nombreux et moins élitiste, ce qui n'aurait pas été possible avec le clavecin.
En France, on aime bien les abréviations. Au cours du XIXe siècle, on a affectueusement raccourci en “piano” le terme complet de “pianoforte”. Progressivement, l'instrument standard, récent, normal fut nommé le piano, et ses formes anciennes, oubliées, les pianofortes.
Et pourtant les pianos récents peuvent jouer plus fort que les pianofortes ! De même qu'il y a peu de différences entre une auto et une automobile, et que l'auto n'est pas moins mobile que l'automobile… Et surtout, on serait bien en peine de préciser quand les automobiles sont devenues des autos, et quel serait le critère qui en déciderait - de même qu'on serait bien en peine de dire
Les interprètes qui, comme Pierre Bouyer, reviennent aux instruments contemporains des œuvres qu'ils ont suscitées, reprennent le nom complet de “pianoforte”. Cela a l'avantage d'être généralement parlant pour le public, mais l'inconvénient de laisser à penser qu'il y a deux instruments différents, l'un succédant à l'autre.
On aura compris que c'était faux : en fait, il s'agit surtout d'une démarche, consistant à croire que la matière, le matériau - l'instrument tel qu'il existe à un moment donné - , est indissociable de la pensée, et que l'on a tout intérêt à explorer cette direction qui réserve de très bonnes surprises artistiques,
C'est d'ailleurs un mouvement artistique largement admis depuis maintenant plusieurs dizaines d'années pour des musiques plus anciennes: Musiques du Moyen-Age, de la Renaissance, et de la période Baroque. Cette manière d'aborder, et de donner une vie nouvelle aux musiques du passé s'applique maintenant à la période du Romantisme, grâce à des instruments adaptés, au centre desquels se trouvent les pianofortes.